[Entretien Frédéric Plojoux - Jérome SA ] « Il faudrait lancer un label sur les constructions qui permette de savoir si les éléments ont été fabriqués localement. »

[Entretien Frédéric Plojoux - Jérome SA ] « Il faudrait lancer un label sur les constructions qui permette de savoir si les éléments ont été fabriqués localement. »

La crise du Covid-19 a sensibilisé le public aux achats de proximité, y compris dans le commerce d’activités dites lourdes. Mais comment pérenniser le mouvement ? Le point avec Frédéric Plojoux, administrateur de l’entreprise Jérome SA et président de la Fédération Genevoise des Fournisseurs de la Construction (FGFC).

 

Fournisseur de matériaux de construction depuis plus de 130 ans pour tous les métiers du gros œuvre et du second œuvre, l’entreprise Jérome SA est basée à Vernier et est raccordée au rail, par lequel arrive notamment le ciment en sac ainsi que d’autres matériaux comme les plaques Swisspearl pour la façade ventilée qui sont débitées, percées et fraisées sur place. Depuis 2016, cette société familiale se trouve aussi à la Pallanterie, afin d’être sur la rive gauche et de se rapprocher ainsi d’un certain nombre de clients. Sur la commune de Collonge-Bellerive, elle a investi dans des équipements performants (stockage vertical avec robotisation), ce qui lui a permis de d’augmenter d’environ 30% la capacité de stockage tout en économisant la surface au sol, comme son administrateur, Frédéric Plojoux, l’a détaillé dans un atelier de Genie.ch tenu il y a quelques mois et consacré à cette thématique (« Atelier n°7 : Besoins de stockage et d’entreposage des entreprises industrielles à Genève). Avoir un vaste assortiment sur un espace aussi restreint que possible constitue en effet une réponse à la problématique de densification, importante à Genève.

Outre la direction de son entreprise forte de 30 collaborateurs, Frédéric Plojoux est président de la Fédération Genevoise des Fournisseurs de la Construction (FGFC), ce qui lui confère une bonne connaissance de tout le cycle de construction, des transporteurs aux recycleurs, en passant par les quincaillers, les fustiers et les entreprises de gravier et béton, soit 150 entreprises genevoises ce qui représente plus de 2500 emplois sur le canton. Pour lui, un des gros défis à l’avenir sera d’ordre logistique et consistera à « avoir un système pérenne avec des points de vente urbains permettant de travailler de manière rationnelle ». Autrement dit, éviter que des camions traversent tout le canton – ou viennent de plus loin encore – alors que la tâche pourrait être réalisée sur place.

-Avec la crise sanitaire et économique découlant du Covid-19, il a beaucoup été question de circuits courts. Qu’est-ce que cela veut dire dans votre domaine d’activités ?

-F.P. Il faut considérer la question à deux niveaux. D’abord, dans notre secteur de commerce d’activités dites lourdes, les circuits courts à Genève sont restreints : à part la Tuilerie de Bardonnex, qui produit des tuiles à cet endroit du canton mais dont la fermeture est annoncée pour la fin de l’année 2020, la grande majorité de nos fournisseurs se trouvent en Suisse. En effet, environ 85% de mes fournisseurs sont Suisses et sont des entités que je connais personnellement. Je n’ai donc jamais eu de rupture d’approvisionnement pendant cette crise, mais je ne sais pas si l’on peut considérer la Suisse comme faisant partie d’un circuit court. En outre, bon nombre d’industries helvétiques ont délocalisé leurs activités en Allemagne ou en Autriche par exemple.

Au niveau de nos clients, la situation est différente. Après l’arrêt brutal des chantiers, qui a impacté 90% de nos activités, lorsque les affaires ont pu reprendre, nous avons constaté une augmentation de notre clientèle, avec plusieurs nouvelles entreprises locales qui sont devenues clientes, en particulier dans notre site de la Pallanterie. La reprise quant à elle s’est faite de façon lente et progressive.

-Pensez-vous que la pandémie a permis de pousser une réflexion allant vers un renforcement des filières de construction locales ?

-F.P. Nous constatons qu’une partie du public est devenue sensible à la question, à l’exemple d’une dame qui a appelé l’un de nos membres, car elle était offusquée que ce soit un camion de béton français qui soit sur un chantier à côté de chez elle et pas le véhicule d’une société genevoise. Outre la question de la proximité (il y a des centrales à béton fixes sur le canton), cela s’inscrit dans un contexte où la Confédération a payé des RHT (réductions d’horaires de travail) et mis sur pied un système inédit de crédit-relais pour ses entreprises, il y a encore des gens qui ne trouvent rien de mieux que de s’approvisionner en France.

Cela dit, je ne nourris pas d’espoirs surdimensionnés, je sais que les bonnes vieilles habitudes vont reprendre, mais si plusieurs personnes comme cette dame attirent l’attention sur cette problématique, on aura gagné une première partie de la bataille. Une bataille que je mène d’ailleurs avec la fédération depuis 2013.

-Quelles pistes y a-t-il pour favoriser une certaine relocalisation dans la région ? Cela permettrait aussi une diminution de l’empreinte carbone de la construction.

-F.P. Si on veut une responsabilité écologique et de proximité, il faudrait lancer un label sur les constructions, par exemple avec des couleurs allant de vert à rouge comme pour les appareils ménagers, qui permette d’indiquer clairement aux consommateurs si les matériaux qui sont mis en œuvre ont parcouru des milliers de kilomètres ou s’ils viennent d’à côté. Il ne faut pas forcer les choses, mais ainsi, les gens redécouvriraient les vertus de la production locale.

Une autre piste pour favoriser le commerce de proximité serait de s’inspirer du modèle de l’agriculture, en augmentant les taxes à l’importation lorsqu’il y a suffisamment de production locale, comme pour le béton, les granulats ou les matériaux recyclés.

On va trouver des solutions pour des relocalisations en Europe afin de se rapprocher du marché.

Mais actuellement, le coût du transport est trop bon marché. Imaginez : un container qui vient de Chine par voie maritime vous coûte 1200 dollars, moins cher qu’un camion qui vient de Hanovre à Genève ! Il faut à l’avenir qu’on soit plus vertueux à ce niveau-là.

Que penser du réemploi des matériaux dans la construction ?

-F.P. Le recyclage et le réemploi ont de l’avenir. Il y a toutefois un problème du coût : est-ce qu’on est prêt à payer plus cher ? Parmi les membres de la Fédération actifs dans le recyclage, certains cherchent des débouchés. Et ce alors que pour construire la Voie verte (ndlr : axe de mobilité douce reliant Annemasse aux Eaux-Vives), les maîtres d’ouvrage n’ont pas privilégié la mise en œuvre de matériaux recyclés pourtant en abondance sur Genève et ont préféré importer la plupart des matériaux « nobles » en provenance de France.

Faut-il recycler le béton ou passer à la construction en bois ?

-F.P. Le sujet est assez sensible. Une étude de l’EPFL est parvenue à la conclusion que la construction dégageant l’empreinte carbone la moins forte est, contre toute attente, le béton (ndlr : https://www.espazium.ch/fr/actualites/une-fausse-reputation). Le bois a toutefois des avantages indéniables, en termes notamment de rapidité d’exécution et de modularité des éléments. Mais il ne constitue pas encore le gros du marché, qui reste le béton. Quant au recyclage de celui-ci, il faut que les pouvoirs publics poussent pour qu’il soit toujours plus considéré, mais il faut être conscient qu’il coûte plus cher.

De manière plus générale, quelle forme peut prendre l’économie circulaire et de proximité dans votre secteur ?

-F.P. A l’avenir, les centres urbains devront non seulement offrir des surfaces dévolues au commerce de proximité, et c’est dans cette optique que j’ai ouvert à la Pallanterie, mais aussi des espaces affectés aux activités dites lourdes : transport, recyclage… Il est vrai que le canton compte peu de surfaces disponibles, et que celles-ci sont très convoitées. Mais il faudrait mener une réflexion plus approfondie pour voir comment mieux répartir les activités économiques telles que le transport, le recyclage et le dépôt, plutôt que les mettre tous au même endroit. Ce n’est pas ainsi que l’on sert le canton de manière efficace, d’ailleurs la logistique va être un défi majeur dans les années à venir. Il faudra réfléchir à des moyens d’approvisionnements courts.

La thématique est en train de prendre de l’importance, toutefois je constate que dans les zones en développement, les élus sont plus intéressés par des constructions avec une certaine densité et des activités à forte valeur ajoutée que par les déchetteries et les centrales à béton. Les activités lourdes sont certes moins sexy, et ne sont pas considérées comme prioritaires, mais il faut voir que sur la rive gauche, il n’y a pas de site pour une centrale à béton. Ce qui signifie que les camions doivent venir de loin, par exemple de Thônon. Ce n’est pas une critique, mais une constatation.

 

Pour en savoir plus sur Jérome SA: https://jerome.ch/

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch (publication le 05.08.20)

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Rédaction

Modérateur

David Martin

Associé