[REGARDS CROISÉS] L’EIT pour une gestion intégrée des ressources locales

[REGARDS CROISÉS] L’EIT pour une gestion intégrée des ressources locales

Témoignage de Benoît Duret, membre de l’agence Mydiane (SCOP OZON)

Benoît Duret est co-auteur de l’enquête « Pérennité des démarches d’écologie industrielle et territoriale en France », publiée en 2018 avec Auxilia et le Pôle Eco-Industries. Il revient sur les conclusions de l’étude et son actualité.

L’écologie industrielle et territoriale (EIT), de quoi parle –t-on ?

B.D. : Au départ, l’EIT est un champ scientifique instauré au début des années 90 pour appréhender l’interaction entre le fonctionnement de la biosphère et les activités humaines. L’EIT est rapidement devenue une démarche pratique, une stratégie de développement économique visant la mise en place d’une gestion intégrée des ressources à l’échelle du territoire, pour répondre à des enjeux de résilience, dans un contexte de pression sur les ressources. Elle rejoint les finalités de la transition écologique : diminuer les consommations de matière, en valeur absolue (1) , et restaurer la qualité des écosystèmes.

L’EIT propose un cadre opérationnel à travers des initiatives coopératives à l’échelle territoriale, qui favorisent un développement basé sur l’innovation et la maîtrise des impacts environnementaux. Pour cela, elle repose sur la quantification et la géolocalisation des flux existants sur le territoire (métabolisme territorial), ainsi que sur la structuration de réseaux de coopération territorialisés. La diversité d’acteurs (entreprises, universités, associations, collectivités locales, aménageurs) va permettre de multiplier les synergies. Ces dernières peuvent concerner :

  • Le bouclage de flux en interne 
  • Les synergies de substitution (le rebut de l’un devient la matière première de l’autre) 
  • Les synergies de mutualisation (mise en commun de services, de moyens techniques et humains, partage de ressources et d’équipements) 
  • La création de nouvelles activités innovantes via la mise en œuvre de relations économiques en circuits courts.

L’EIT s’inscrit donc comme un pilier transversal de l’économie circulaire pour adopter une vision globale et intégrée de la gestion des ressources.

Quelles étaient les conclusions de l’analyse de 2018 sur la pérennité des démarches EIT et qu’est-ce qui a évolué depuis selon vous ?

B.D. : Les porteurs de démarches EIT semblent avoir bien pris en compte les conclusions sur les trois axes de l’étude : la gouvernance, les résultats de l’acteurtiers et le modèle économique. Auparavant, l’attention était essentiellement concentrée sur la simple recherche de synergies. Désormais, les porteurs de démarches s’interrogent au sujet de la gouvernance et du modèle économique pour pallier les financements dégressifs des projets.

Certaines collectivités cherchent ainsi à accompagner le passage d’un portage par l’acteur public à une structure associative dédiée. Cela rejoint l’importance de la notion d’acteur-tiers, au cœur de cette étude. En tant que médiateur entre l’ensemble des parties prenantes, l’acteur-tiers porte la responsabilité de l’animation et de la coordination de la démarche. Créer une structure dédiée permet d’impliquer les entreprises dans la gouvernance, tout en garantissant une vision à long-terme de la planification de l’utilisation des ressources par la présence de l’acteur public.

Quels liens entre pérennisation des démarches et projet de territoire ? Quelles en sont les limites ?

B.D. : La notion de pérennité s’appuie sur la gouvernance, le modèle économique et les activités de l’acteur-tiers, qui sont profondément liés. C’est parce que l’acteur-tiers intègre de nouvelles activités dans son mode de développement que la démarche va être pérenne économiquement. 

Ces décisions se prennent à travers une gouvernance partagée, et se concrétisent par l’intégration de services commerciaux (gérer des contrats mutualisés, etc.) ou d’activités propres (collecter et stocker des déchets, etc.) visant à dégager une capacité d’autofinancement. Par ailleurs, la présence de l’acteur public auprès des acteurs privés est nécessaire du fait de l’impact des décisions de gestion territoriale des ressources sur le développement des activités économiques à long-terme.

Cette vision globale des élus en termes de planification assure la résilience du territoire : l’ensemble des décisions publiques et privées concertées concourent à préserver les ressources et restaurer écosystèmes locaux. Dès lors, l’EIT peut nourrir le projet territorial et assurer la pérennité des acteurs économiques dans l’utilisation des ressources locales et la mise en œuvre de synergies.

(1). C’est-à-dire en tonne, et non pas en tonne par euro de PIB produit (t/€) qui correspond à l’intensité matière.

(2).Le Réseau Synapse centralise l’offre autour de l’EIT (information ciblée, outils, méthodes…) et met en avant les initiatives françaises Pour en savoir plus : https://cutt.ly/omqtUI8


Témoignage de Cindy Derail, cheffe de projet chez MACEO

MACEO est une association qui accompagne les acteurs publics et privés des territoires dans leur développement par la mise en place de projets innovants et durables. Retour sur l’évolution connue par les démarches EIT ces dernières années.

L’écologie industrielle et territoriale (EIT) : de quoi parle-t-on ?

C.D. : Au premier abord, l’EIT est une notion conceptuelle, qui se révèle en fait très opérationnelle. Il s’agit d’un ensemble de pratiques visant à optimiser la gestion de ressources (ex : co-produits, eau, foncier, déchets…) à une échelle locale. On entend par « écologie » un écosystème d’acteurs, c'est-à-dire la coopération et la collaboration entre plusieurs structures, secteurs et compétences. Le terme « industriel » est souvent associé à l’activité industrielle, hors l’EIT traite plus largement d’activités économiques : tertiaire, artisanat, agriculture, commerce, activités urbaines… Enfin, « territorial » signifie d’agir sur un périmètre géographiquement défini. L’EIT correspond donc à la mise en œuvre de synergies entre acteurs dans le but d’optimiser et de gérer de manière durable les ressources au sein d’un territoire géographique.

Selon vous, quelles sont les évolutions de ces dernières années pour pérenniser les démarches, en particulier en Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) ?

C.D. : Depuis 2018 une réelle évolution des démarches EIT est observée :

  •  La définition de l’EIT ne se limite plus aux déchets et commence à se démocratiser. Cette notion apparaît de plus en plus dans les médias en mettant en évidence la coopération entre acteurs. De nombreuses actions se sont réalisées en lien avec la feuille de route régionale. Enfin, la crise sanitaire a engendré une prise de conscience sur ces sujets.
     
  • Le portage politique évolue. Le réseau national Synapse (2), créé en 2017, a permis la naissance de réseaux EIT régionaux et a suscité l’intérêt des élus. Ceci s’est accentué sur 2020-2021 avec une nouvelle prise en main des territoires (syndicats, communautés de communes, agglomérations), opérant le passage d’un portage national vers le local.
     
  • L’approche territoriale est revisitée : en 2018 « démarche territoriale » et « collectivités locales » étaient souvent associées. Désormais, les démarches EIT raisonnent aussi en termes de filières (textile ou plastique en AURA). Les programmes nationaux, pilotés au niveau régional, ont dépassé les limites géographiques et administratives. L’exemple des Territoires d’Industrie (3) est significatif. Ils favorisent la coopération et la coordination de plusieurs collectivités et entreprises pour se rendre plus attractifs et réindustrialiser la France.
     
  • Enfin, les EPCI se sont appropriés les compétences économiques suite à la loi NOTRe du 7 août 2015. Aujourd’hui bien structurées, ces collectivités se saisissent de l’EIT comme une stratégie de développement économique de leur territoire.

Quels liens entre pérennisation des démarches et projet de territoire ?

C.D. : La pérennité dépend surtout de la volonté des acteurs présents sur un territoire. L’humain est au cœur de ces démarches collectives. Un projet de territoire se construit en faisant appel aux acteurs-ressources : élus, citoyens, entreprises, associations... Pour être pérenne, une démarche EIT doit être utilisée comme un moyen de développer le territoire en apportant des solutions écologiquement viables tout en répondant aux besoins, contexte et spécificités du territoire.

Les démarches EIT peuvent être multi-partenariales avec des échelles très différentes : les acteurs doivent s’accorder sur le périmètre économique et géographique sur lequel agir. En amont de l’initiation opérationnelle, ils doivent réfléchir stratégiquement à la conduite de la démarche : qui ? où ? quand ? comment ?… Cette étape stratégique influe sur la pérennité du projet. Une structure référente et un acteur-tiers sont nécessaires pour coordonner et animer la coopération entre toutes les parties prenantes, orienter les actions, suivre les réalisations.

La pérennisation nécessite également de trouver un modèle économique viable. L’arrivée des nombreuses aides et programmes territoriaux ont permis d’initier les projets, mais aussi de les pérenniser en travaillant sur cette dimension. Il existe aujourd'hui différentes typologies de financement qui allient dispositifs privés et publics, permettant aux structures d’assurer leur stabilité. Par exemple, le projet Centr’Alp4 , porté par la CA du Pays Voironnais à ses débuts, a développé un business model public et privé pour se pérenniser, en créant une association dédiée à l’animation et à la conduite de démarches EIT.

(3).Territoires d’Industrie est une stratégie de reconquête industrielle par les territoires. Pour en savoir plus : https://cutt.ly/QmqtFoQ 4.Centr’Alp est un groupement de plus de 300 entreprises, et de près de 6000 salariés. Pour en savoir plus : https://cutt.ly/PmqtJHK


Crédit photo : MYDIANE et MACEO

Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°20 / Juillet 2021

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Rédaction ECLAIRA

Modérateur

Vincent Jay

Chef de projets